Témoignage harcèlement moral au travail : Mathieu nous partage son expérience

exemple de témoignage de harcèlement moral au travail

Exemple de harcèlement moral : le témoignage de Mathieu

Le harcèlement moral au travail est une réalité qui touche malheureusement de nombreuses personnes. Derrière les chiffres alarmants se cachent des histoires personnelles, des vécus souvent difficiles à exprimer. Aujourd'hui, nous avons décidé de donner la parole à une victime de harcèlement moral, Mathieu**, qui a accepté de partager son histoire avec nous. À travers son témoignage poignant, vous découvrirez des méthodes de management propices au développement d’actes malveillants, les conséquences pour chacun ainsi que les solutions trouvées par Mathieu pour s’en sortir.

Bonjour Mathieu, et merci d’avoir accepté de témoigner pour notre site ! Peux-tu te présenter succinctement et nous expliquer les raisons qui t’amènent aujourd’hui à te livrer à nos côtés ?

Bonjour à tous les lecteurs et merci à vous de me donner la parole, c’est la première fois que je m’exprime sur cette expérience en dehors de mon cercle proche (ndlr : amis, famille…) et j’en suis très heureux car j’y vois l’occasion de mettre un point final à ma reconstruction personnelle. C’est l’occasion d’informer sur l’environnement de travail qui a permis ce harcèlement moral ainsi que sur quelques exemples d’actes subis, afin de vous convaincre que ce n’est pas normal de vivre ça en entreprise !

J’ai aujourd’hui 31 ans, je travaille en cabinet de conseil (ndlr : conseil en cession et acquisition d’entreprises), un milieu assez concurrentiel, et ça fait 2 ans et demi que je suis sorti de cette expérience difficile. Auparavant j’avais fait plusieurs stages mais j’ai signé mon premier CDI dans l’entreprise où j’ai subi les actes dont je vais vous parler.

environnement de travail toxique

Un environnement de travail propice au harcèlement moral

Peux-tu nous résumer ton intégration dans l’entreprise et ce que tu y as perçu ?

Bien sûr, je vous propose même de commencer par le premier jour dans l’entreprise, car une succession d’évènements aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Pour poser le cadre, c’est un cabinet de conseil d’une quinzaine de personnes : on aide les investisseurs à vendre leur entreprise en trouvant des acquéreurs, soit d’autres investisseurs soit des industriels.

Dans ce cabinet, tout le monde avait l’habitude de se réunir le mardi matin pour parler des sujets en cours, organiser le travail de la semaine et anticiper les suivantes. Je devais intégrer le cabinet un mardi matin, on me propose de venir à 9h : j’arrive, comme toujours, quelques minutes avant pour signifier mon sérieux. Lorsque la secrétaire vient m’ouvrir la porte, elle m’indique que tous les collaborateurs sont en train de se réunir dans la grande salle pour la réunion de 9h et me propose de m’y accompagner afin que je puisse y être présenté. Portes closes, elle frappe, entre, puis informe le DG (ndlr : qui préside la réunion) de ma présence en lui demandant si je peux rejoindre la réunion. Je n’aurai jamais entendu sa réponse, puisqu’il l’a chuchotée alors qu’on me demandait d’attendre derrière la porte, mais il semble que je ne sois pas le bienvenue ce matin-là…

On me dépose alors, sans explication, dans un bureau partagé, 4 postes semblent déjà occupés mais il reste un coin de table au bout : « installe-toi ici, je vais te chercher le règlement intérieur ». 10 minutes passent, la secrétaire revient avec un règlement intérieur qu’elle a imprimé et me le pose sur la table : « prends ton temps pour le lire ce matin, apparemment nous n’avons pas encore reçu ton ordinateur, tu as pris le tiens pour t’occuper cet après-midi ? ». Le ton est donné.

2 heures plus tard, toujours ce premier matin, après avoir signé et lu pour la 3ème fois l’intégralité du règlement intérieur, mes nouveaux collègues, que je n’avais pas eu l’occasion de rencontrer au cours de mes entretiens, sortent de la salle et rejoignent le bureau où je suis installé. En entrant : deux ne me disent pas bonjour et vont s’asseoir, l’un me salue de loin et seul le dernier accepte de venir se présenter. 

Ambiance très étrange, pas tout à fait ce qu’on m’avait vendu, j’imagine une mauvaise nouvelle dans l’entreprise ayant déclenché toutes ces réactions que je ne comprends pas : je n’ai rien fait, c’est impossible qu’on m’en veuille déjà, et surtout pour rien. J’ai quand même fini par trouver tout ça très louche quand on a fini par me donner un travail ingrat (calculs complexes sur un sujet que je découvre) à faire à 19h le premier jour alors que j’avais attendu toute la journée, assis seul à mon bureau, sans que personne ne m’adresse la parole et que j’attendais qu’on m’autorise à partir : wtf ? Une forme de bizutage ?

Au cours des jours qui suivent, je n’aurai pas grand-chose à faire, pour ne pas dire rien du tout : j’en profite pour m’imprégner de la culture de l’entreprise, me renseigner sur les opérations réalisées, les opérations en cours de réalisation, les outils internes, l’organisation du travail … etc. J’en profite pour observer : la culture du présentéisme est ancrée dans cette entreprise, où certains regardent des vidéos une partie de l’après-midi et attendent 20h pour aller présenter leur rapport à leur N+1… Lorsqu’un collaborateur quittait son poste avant 19h, la remarque audible aux oreilles de tous ne se faisait pas attendre…

Il m’a fallu attendre le mardi d’après, au cours de la réunion hebdomadaire, pour y voir plus clair sur le fonctionnement de ce cabinet (15 personnes au total) :

  • Le DG impose sa pression à toutes les couches hiérarchiques en réprimant les managers devant leurs équipes et n’hésite pas à afficher le stagiaire pour amuser la galerie
  • Chacun pour soi et dieu pour tous : aucune solidarité entre les collaborateurs, parfois même alors qu’ils travaillaient ensemble sur une opération
  • Si tu veux travailler sur un sujet, à toi d’aller te battre contre tes homologues pour que le manager te choisisse toi et pas les autres
  • L’entreprise est loin de ses objectifs et les collaborateurs sont priés de redoubler d’efforts pour conclure un nombre d’opérations important dans les mois à venir

actes malveillants harcèlement moral au travail

En sortant de cette réunion une semaine après mon intégration, le constat est le suivant : je n’ai crié plus haut que personne, je n’ai donc été rattaché à aucun dossier (encore une semaine à ne rien faire). Tout le monde se tire dessus parce que l’atteinte des objectifs est trop éloignée des réalisations à date, le DG met une pression énorme sur les managers qui se défoulent, eux-mêmes, sur leurs petites mains. Ces mêmes petites mains qu’on met en concurrence, pour leur donner une raison de se dépasser, et tout ça dans une atmosphère digne des pires thrillers. 

Quitter son premier CDI quand on est jeune diplômé ?

A ce moment-là ça fait une semaine que tu es dans l’entreprise, tous ces signaux t’ont visiblement alerté, pourquoi as-tu décidé de rester ? Et puisque les méthodes de management semblent être à l’origine du problème : pourquoi les autres restent également ?

Très bonne question ! Parce que je pense que ma réponse concerne des milliers de jeunes diplômés … Comment aurais-je pu me rendre compte de la toxicité de mon environnement de travail, alors que je faisais mon entrée dans la vie active … ? J’ai passé 2 ans en école préparatoire à « accepter de subir pour l’avenir », ça ne m’étonnait pas de me faire insulter par certains profs en colle puisqu’apparemment c’était pour mon bien : pourquoi le monde du travail ne fonctionnerait pas sur la même logique ?

Quand bien même j’aurais compris la situation dans laquelle j’étais, je n’aurais jamais pu la quitter dans les premières semaines : comment expliquer ce premier trou dans mon CV ? Comment rembourser mes emprunts étudiants, dans l’attente d’un nouveau travail ? Et puis, je venais de passer 4 entretiens pour intégrer ce cabinet après un process long de 4 mois face à des centaines de concurrents pour le poste : suis-je prêt à repartir en guerre ?

J’ai donc pris la décision de rester en poste, au moins pour les mois à venir, en cherchant immédiatement des pistes pour en sortir.

En ce qui concerne les autres, ça dépendait de leur profil. Dans cette organisation, certains acceptaient de subir toutes sortes de misères sans jamais broncher : eux étaient les stars. Les meilleurs soldats étaient les plus disciplinés. Ensuite il y avait ceux qui subissaient, mais qui avaient compris dans quel environnement ils se trouvaient, et avaient donc décidé d’en faire le moins possible et d’ignorer toutes sortes de réprimandes, jusqu’à se trouver un nouveau job. Ils se conformaient tout de même à la culture du présentéisme pour assurer leur salaire de fin de mois d’ici là.

Enfin, face à l’absurdité de la culture par la peur, il y avait toujours un ou deux rebelles, souvent des stagiaires ou des CDD, qui tenaient tête aux grands méchants et ne cédaient pas face à la terreur.

La prise de conscience du harcèlement moral

Pourquoi tu dis avoir été victime de harcèlement moral au travail à cette période et comment t’en es-tu rendu compte ?

Jusqu’ici j’ai décrit l’environnement de l’entreprise parce qu’il était un terreau fertile pour le harcèlement moral dans ce cabinet. Entre ma première réunion d’équipe, qui m’a réellement permis de comprendre où j’avais mis les pieds, et mon départ de l’entreprise, je suis passé par plusieurs phases.

D’abord la phase d’acceptation de la situation : c’est normal qu’il y ait de la pression dans ces milieux, la mise en concurrence des collaborateurs nous pousse peut-être à nous dépasser et puis il va bien falloir que je me fasse remarquer si je veux sortir de mon statut de petite main ou changer de cabinet.

J’enchaine les heures, je réponds aux exigences les plus farfelues de mes managers (jusqu’à aller leur faire les courses au Carrefour d’à côté à 20h, alors que je suis payé 60k l’année), je me mets à dos mes collègues (passés dans l’ombre sur certains sujets) et je roule ma bosse pour me faire remarquer. Tous les employés se regardent de travers, mais ça a l’air d’être normal.

Je suis prêt à tout pour réussir et m’en sortir :

  • Accepter une pression constante souvent ponctuée d’insultes à peine voilées,
  • Accepter qu’on me rabâche que je suis benet à la moindre occasion,
  • Recommencer 30 fois un fichier en acceptant de croire que c’est moi qui me suis trompé surtout si ce n’est pas le cas, avec le plaisir jouissif de me « victimiser »,
  • Passer des WE à travailler sur mon ordinateur perso des fichiers que je n’aurais jamais pu finir sur mes heures (et nuits en semaine) de travail,
  • Accepter les remarques humiliantes qui amusaient tant le DG en comité… Etc.

Tout ceci était censé me motiver… Ou me lessiver, je ne sais pas trop. Je n’étais pas seul à subir tous ces agissements, quelque part ça me rassurait. Mais quelques mois plus tard, la goutte d’eau a fait déborder le vase. Un mardi matin, au cours de la fameuse réunion hebdomadaire, on me demande si j’ai pris une initiative sur un sujet alors que je n’avais déjà pas eu le temps de boucler les tâches (bien nombreuses) de la semaine d’avant et que la pression constante commençait à m’épuiser, depuis quelques semaines déjà.

management par la peur

Face à mon explication qu’il a très mal prise (il est interdit de répondre à un reproche même si on a une bonne justification, il faut juste subir et se taire), le DG se permet de me singer en prenant un air benêt pour illustrer mes propos. Un ange passe dans la salle : personne ne comprend son attitude aussi offensante qu’enfantine, même mes concurrents internes (ndlr : collègues dans l’entreprise) ne semblent pas s’amuser de cette imitation. Pour me punir, il finira par me retirer le dossier le plus important sur lequel je travaillais afin de me « dégager du temps pour ce que tu sais faire»…

C’était à la fois le début de ma placardisation et l’aboutissement d’une période difficile : le déclic dans ma prise de conscience, le déclencheur de mon départ.

La départ pour faire face au harcèlement moral : solution choisie par Mathieu

Comment as-tu fait pour t’en sortir ? Pourquoi parles-tu de placardisation ?

La placardisation a suivi mon intervention de ce jour-là en comité : j’avais mis en lumière, aux yeux de tous, le non-sens de ses critiques infondées à mon égard, je devais être puni pour ce comportement. Les autres devaient comprendre, qu’on ne répond pas au grand chef, même quand la situation est ubuesque (bosser +80h/semaine n’est peut-être pas assez). Ma charge de travail n’a pas baissé, mais j’en étais réduit à devoir faire des tâches insignifiantes, je ne participais plus aux réunions de travail ponctuelles et je faisais les cafés à la place des stagiaires… Ils avaient décidé de me faire dégager en me décourageant, même si rien n’était dit tout était bien sous-entendu.

J’ai eu beaucoup de chance d’être recontacté par une entreprise dans laquelle j’avais postulé avant de signer ici. Ils étaient situés dans l’Est de la France, d’où je suis originaire : mon explication de départ prématuré était toute trouvée. Si je n’avais pas eu cette opportunité, j’aurais du attendre au moins 1 an pour compléter l’expérience avant de postuler ailleurs.

J’ai pu faire valoir mes premiers mois d’expérience, en expliquant que ce changement rapide de poste me permettrait de me rapprocher des miens. J’ai pu donner des références de mes anciennes expériences, en stage, aux RH pour qu’elles valident mon profil et j’ai obtenu le poste, me permettant de quitter cet enfer.

Et les autres : as-tu des nouvelles ? Que sont-ils devenus ?

Les autres avaient conscience de la forme de harcèlement moral qui s’était fondue dans la culture de l’entreprise, il y avait deux camps (que j’ai déjà décrits précédemment) : ceux qui étaient là depuis moins de 2 ans (30% de l’effectif) et qui partaient rapidement, et les autres qui préféraient s’accrocher à leurs acquis sociaux quitte à accepter l’inacceptable, et qui finissaient par être récompensés financièrement pour leur loyauté, au détriment de leur santé mentale et physique…

Le plus compliqué, c’était pour les nouveaux arrivants : il fallait quelques semaines voire quelques mois pour comprendre le fonctionnement de l’organisation, parce que l’omerta règne bien évidemment dans ce genre d’environnement toxique.

En partant de l’entreprise, j’ai pu en parler plus ouvertement avec ceux qui l’avaient également quittée, mais de près ou de loin, le sujet reste tabou et personne n’a jamais officiellement dénoncé les agissements de la direction.

Le bilan après l'analyse du harcèlement moral au travail

Comment vis-tu cette expérience, avec du recul ?

Je regrette de n’avoir rien dénoncé à l’époque, car cela aurait certainement permis d’éviter à d’autres de se faire piéger. Je l’ai fait le mois dernier, à travers un réseau de notation des employeurs, en espérant que mon avis sera vu par les futurs intéressés…. J’ai mis du temps à poser des mots sur ce qu’il s’est passé, et je suis heureux de les partager.

Cette première expérience m’aura permis de gouter au pire du monde de l’entreprise, dès le plus jeune âge : pression constante, singeries, jalousies, mises en concurrence… Je sais désormais ce que je veux, et ce que je ne veux pas.

J’ai eu la chance, professionnellement, d’enchainer sur une expérience nouvelle avec une équipe bienveillante dans laquelle je peux m’exprimer et grandir, à un rythme soutenu mais adapté. Je suis heureux, et apaisé.

Si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui se retrouve dans la situation que tu as vécue, quel serait-il ?

Si vous subissez des actes dégradants de manière répétée et qui ont un impact sur votre bien-être ou votre santé, ce n’est certainement pas de votre faute et ce n’est pas normal de vivre une situation aussi injuste. C’est déjà un grand pas de se le dire. Ensuite, il faut donc en sortir.

C’est difficile de donner un conseil universel pour en sortir parce que chaque situation est différente : dans mon cas il y avait un terreau propice au développement du harcèlement, avec des méthodes de management qui favorisaient les actes dégradants. Dans cette situation : fuyez au plus vite, à moins de monter un recours collectif (et encore…), vos « tentatives d’amélioration de la situation » risquent d’être contreproductives (se retourner contre vous).

Si vous vous sentez en difficulté, demandez conseil autour de vous et à des professionnels spécialisés en harcèlement moral pour étudier les différentes pistes qui s’offrent à vous !

 

** Nom d'usage, notre invité ayant souhaité rester anonyme pour témoigner

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